Marcher en Arménie

22 octobre 2009

Le voyageur indécent

Filed under: Généralités — denisdonikian @ 0 h 52 mi

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Tout homme qui voyage a besoin d’hommes qui ne voyagent pas. L’un ne va pas sans les autres. Ainsi, c’est toujours à la rencontre d’individus immobiles que part l’individu mobile. Celui-ci que ferait-il si les autres n’existaient pas ? Il se perdrait dans le paysage, un paysage nu, un paysage vide qui se transformerait très vite en un gouffre angoissant. Il faut donc que des hommes soient aussi lourds que des pierres, associés indéfectiblement à des montagnes, des rivières, des champs pour que d’autres puissent passer. On m’objectera que certains marchent en quête de désert. Certes, mais durant combien de temps ? Le désert absolu rend fou. Certains moines du Mont Athos, perchés sur leur piton rocheux, n’ont parfois plus leur tête. C’est que marcher trop longtemps dans un lieu sans homme peut vous faire perdre la raison, qu’il soit de sable, de pierre ou de végétation. Mais de nos jours, notre nomade moderne est celui qui a de quoi quitter momentanément son lieu de vie. En revanche, s’il force le destin pour abandonner son nid, le sédentaire cloué à sa sédentarité sait qu’il prend des risques. Souvent il préfère survivre difficilement là où tout lui est familier plutôt que de s’aventurer dans l’étrange où tout devient incontrôlable. En dehors des villes où il rencontre autant de sédentaires résignés que de nomades potentiels, celui qui  voyage au rythme de ses rêves marche dans le seul luxe des pauvres qui n’ont d’autre choix pour survivre que celui de se déplacer le moins possible. Son avantage sur eux, c’est qu’il peut jouir du monde alors qu’ils s’en nourrissent. En ce sens, le même monde ne produit pas les mêmes comportements humains selon qu’on le contemple ou selon qu’on l’exploite. Il y a donc une indécence à marcher dans la campagne arménienne où nous avons côtoyé des existences molles, même si le malheur n’était jamais aussi profond que dans des pays touchés par la misère. Et pourtant, quand nous songeons à ceux qui s’exilent pour tenter de survivre ailleurs, quitte à abandonner leur famille, à se plonger dans l’inconnu le plus froid, alors que nous venons ici pour une promenade de quête poétique ou de santé mentale, il nous arrive d’avoir mal, si mal que souvent nous marchons avec cette douleur.

Octobre 2009

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Photographies de Denis Donikian ( copyright)

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